Boutres

Bagla Dessin H.M.

Page de titre "The Compas"; New-York, 1963 @

 


Lorsqu'au détour d'un virage on débouche du canal dans la baie de Suez on entre dans un autre monde. La chaleur et l'humidité augmentent en quelques instants. La descente vers le détroit de Shadwan et l'entrée en Mer Rouge sont ponctués des ombres mauves de montagnes rougies plus que la mer de ce nom. Les quelques jours de descente vers les îles de Monfreid aux noms bien arabe, Djebel Taïr la montagne de l'Oiseau les îles Hanish nous ouvrent après le détroit la grande mer océane dont Hipparque décrivit en son temps le régime des moussons. Autre monde, autres peuples autres senteurs, d'encens, de poivre, autres sons tant dans les ports que sur les ondes. Autre ciel aussi ou l'on voit plus Sirius, Antarès, Procyon le petit chien, celui que les Romains appelaient Caniculus qu'on ne voit chez nous qu'en août où il marque le temps des canicules. Autres bateaux aussi.

Des premiers aperçus aux derniers, ceux qu'on voit du côté de Chittagong au Bangla Desh ou aux îles Annabas, et tout au sud à Zanzibar, ils ont tous en commun un même type de propulsion. Les variantes de coques et de gréement n'ôtent rien à cette confraternité.

Le Théâtre

Une grande civilisation entre Tigre et Euphrate perdure depuis plusieurs millénaires au Nord, avec sa voie naturelle de passage vers la Méditerranée. Cet ensemble fertile et peuplé est prolongé au sud par des territoires déshérités où l'eau devient rare et la vie précaire, baignés par l'océan Indien avec ses appendices, le Golfe arabique qui relie l'embouchure des deux fleuves à l'Océan, et la Mer Rouge, gigantesque ligne de fracture qui va du lac Tanganika à la mer Morte offrant à l'humanité un autre chemin vers la Méditerranée . Au-delà l'Afrique, avec sa corne déshéritée et plus loin le paradis vert des eaux équatoriales et des hommes noirs qui vient là. De l'autre bord l'Inde, ses eaux et ses foules. Au milieu des chaînes de récifs et d'îles basses laissant entre elles des passages accores mais incertains, pièges à bateaux.

La Grande Horloge, le Climat,

les moussons

Il y a aussi ce vent si remarquable qui souffle avec ponctualité dans un sens puis dans l'autre, avec ses intersaisons qui rythment l'inversion de la mousson. Hipparque, nous a en son temps révélé ce que les marins de son temps avaient bien voulu dévoiler de ce qu'ils en avaient entrevu. En juillet et Août, la mer à Gardafui et Ras Haffun, à la corne de l'Afrique force au-dessus de six et engendre un courant de 100 milles par jour au nord. A Ras Fartak sur la côte opposée la falaise plonge de trois cents mètres dans la mer et provoque un ressac dévastateur. Il n'est pas question de naviguer. Mais en mai et juin ou en septembre, lorsque le Petit Chien, Caniculus approchera de l'horizon du soir . De même, quoique moins furieuse, la mousson s'inversera en octobre novembre et jusqu'en avril et permettra le retour. Combiné aux effets de l'alizé du Sud est de l'hémisphère sud ce phénomène météorologique provoque des courants réguliers dont il est bon de tenir compte lorsqu'on navigue dans cette région. Détours et inflexions de la route facilitent l'accès aux havres reculés de la Mer Rouge, du Golfe arabique ou de Zanzibar et Majunga.

La Biomasse: Cet océan et ses mers adjacents sont peuplés d'une faune aquatique très riche offrant au marin les moyens de sa subsistance: Requins, dont l'huile entre dans le calfatage des coques, madrépores qui les déchirent, tarets et vers qui mangent les quilles toujours posées dans la vase des basses mer, et serpents de mer dont les marins doivent se garder. Les vols d'oiseaux font partie des signes qui annoncent le temps des départs et parfois la direction de la terre. Les hommes: Danakils, Somalis, vivant aux rives desséchées de l'Afrique, Les Indiens, les Africains comme Perses, Arabes et Yéménites, puisent dans cette manne que leur offre la mer. De territoire de mer en autre territoire s'établit un réseau de connivences et de rivalités. Pour autant qu'on puisse interpréter les documents qui nous sont parvenus. Il y a là plusieurs millénaires de vie humaine organisée, Animistes, Zoroastriens de Perse, Juifs, Hindouistes, Jaïn, grands commerçants de l'Inde, Bouddhistes, grands voyageurs, Chrétiens nestoriens du Moyen Orient de Perse, de Kerala dans le sud de l'Inde, et de Socotra, tous chez qui le monothéisme de forme islamique étend son influence, à son point culminant au XV° siècle, sur tout le pourtour de cette aire. Tout ce monde échange, se bat dans un grouillement tel qu'il est parfois malaisé de retrouver un fil directeur. Les dattes du croissant fertile, les chevaux de Perse, les perles du Bahr en el-Benat, qui baigne Bahreïn et dont le courtier accordait le prix entre acheteur et vendeur par le langage des doigts sous un mouchoir, une version révisée du « loquela digitorum » de Bède le Vénérable, calcul digital, premier calculateur de l'espèce humaine. C'étaient encore, les pierres de Ceylan, poivre cannelle, bois de construction monnaies d'or se croisent sur des routes bien identifiées quoique variables selon les données politiques du moment.

Les rivages.

En général les rives de la partie nord de l'Océan indien et des mers adjacentes sont escarpés et tourmentés. Au delà d'une certaine monotonie de couleurs noires blanches et ocres, les reliefs offrent de nombreux points remarquables comme les Oreilles d'âne des environs d'Aden ou les formes coniques de Djebel Taïr la première île sur laquelle on territ en mer Rouge lorsqu'on descend de Suez. Les coupoles des Kobr et minarets, à l'approche des ports où se trouvent les terres basses, offrent des repères bien marqués sur les cartes du Service Hydrographique. Ils permettent, par leur relèvement, d'éviter de sournois bancs coralliens qui n'affleurent pas toujours et qu'il vaut mieux approcher au moment où on a le soleil dans le dos. C'est ainsi que j'ai franchi une fois le détroit de Tiran. Les phares sont rares : Les Iles Daedalus, Djebel Taïr, les îles Hannish; Perim, la porte des larmes, sont les seuls qu'on trouvait sur 1300 milles entre Suez et Djibouti en 1960. d'Aden à Perim dans le détroit d'Hormuz, on ne voyait un phare qu'à Aden, parfois à l'île de Mazira, rien sur les Koria-Muria où se cacha un sous-marin allemand pendant la guerre, et une loupiote à Ras al Hadd qui est une terre très basse. Depuis Djibouti jusqu'à Mombassa, on ne voyait un phare qu'à Gardafui. Pour le reste, ras Filuk, par exemple, avait une forme d'éléphant d'où son nom et c'était un bon amer. Vers le Sud, les Comores sont de bons amers, visibles de très loin en raison de leur grande hauteur. On faisait avec ça et les nacoudas de boutres étaient sûrement plus observateurs et avaient une meilleur mémoire que nous Vers les bouches de l'Indus et Bombay, puis Ceylan, quelques feux balisent une route très fréquentée. La mer en mousson d'été y est très grosse et fait une grosse barre au rivage. De l'autre côté de la péninsule indienne, Pondichéry. Madras, Calcutta et le Bangladesh sont moins exposés à la grosse mer , mais les luies y bouchent parfois la vue autant que sur la façade Ouest Pendant l'autre mousson, ce sont les trombes qu'il faut éviter. J'ai eu une nuit de Saint-Sylvestre l'impression de me promener dans un bois tant il y avait de troncs autour de moi. Un boutre peut être rasé comme un ponton s'il a la maladresse de se laisser passer dessus par une de ces trombes.

Au milieu de cet océan, des massifs coralliens laissent entre eux des passages accores mais mal balisés. Lieux de nombreux naufrages Lisez le récit de celui de celui de Pyrard de Laval, au temps de Henri IV. Seul, l'atoll de Minikoï , sur la route de Suez à Singapour, porte un phare blanc qui surpasse, de quelque deux ou trois mètres, le haut des cocotiers. Il faut un bon sextant pour trouver les passages entre ces bancs qui sont larges de plusieurs dizaines de milles. Et ce d'autant plus qu'il faut se méfier de courants qui sont parfois forts et peuvent dépaler considérablement un voilier dont la vitesse ne dépasse pas souvent cinq nÏuds.

Ce zaroug « au plus près » à la bonne main, négocie la chicane des bans d'entré à la rade de Djeddah. Dans l'après midi lorsque le Shamal remplace les calmes matinaux.



Clichés H Michea@

 prise lors d'un voyage de pèlerins en 1967.


Les bateaux:


Les quatre sabords décorés ouvrent sur un assez vaste entrepont sur lequel donnent deux minuscules cabines On ne peut s'y tenir debout. La richesse de la décoration florale sculptée aux Indes était assez commune. Photo HM Fort Jésus septembre 1955.

C'est dans ce contexte que les riverains de ce monde, à la fois isolé et ouvert, ont développé un type de navire qui de Suez aux îles Nicobar présente, au-delà de différences locales un même ensemble de particularités. Nous ne savons rien des bateaux de l'antiquité dans cette région. Ceux que nous appelons les Boutres sont assez bien connus Les relevés par Amiral Paris Souvenirs de Marine conservés, planche 57 représentant un sambouc avec ses lignes et dimensions permettant aux modélistes d'en construire un modèle ; les planches 125 donnent plans des formes et de gréement d'un Baggla. et d'un Dunguyah, « Boom » l'un et l'autre, le tout daté de 1838. A cette époque Edmond Paris était à bord de l'Artémise, faisant avec Laplace son troisième tour du Monde mais c'est probablement au cours du précédent, fait à bord de la Favorite, qui fit la première escale à Bahreïn d'un vaisseau de guerre de France, qu'il procéda ou fit procéder à ces relevés. On peut les comparer avec les photographies représentant ces mêmes bateaux prises en 1950 et les relevés de René Grousset Grange à la même époque. Rien n'a vraiment changé. Les rares indications des quelques textes arabes qui nous sont parvenus indiquent toutefois, un vocabulaire technique inchangé. On peut raisonnablement avancer que tant la technique de construction que la méthode de navigation remontent au delà du temps d'Ibn Majid au XVI° siècle, qui est aussi celui de Nicolo Conti qui navigua dans ces mers et dont la relation bien connue des érudits, vient d'être pour la première fois donnée en Français avec une lumineuse présentation par Geneviève Bufon, voire jusqu'au X° siècle au temps du Marchand Souleïman de La Relation de la Chine et de l'Inde.

Tous sans exception utilisent une voile au tiers mais de forme trapézoïdale. Cette voile permet une navigation aux allures portantes et ne permet de changer de bord qu'en virant lof pour lof. Elle n'est pas fameuse boulinière pour remonter au vent sauf dans quelques régions particulières. Elle est destinée à l'exécution d'un voyage annuel.

Cette voile est enverguée sur une longue antenne qui est confectionnée au moyen de perches rousturées les unes aux autres. Le diamètre de cet espar diminue, en montant vers son extrémité. Il est suspendu approximativement par son centre de gravité. Il peut atteindre un poids proche de la tonne pour les grands baglas et ne peser que quelques dizaines de kilos pour la barque houri. Le bois est rare, sauf aux Indes et en Afrique. Il constituait une part notable des chargements de retour des bateaux océaniques. Cette antenne est portée par un mat, construit d'une pièce, dont le diamètre sur les grands boutres atteint les trente centimètres, et dont le pied est encastré dans une emplanture fixée sur la contre quille. Cet arbre est fortement incliné vers l'avant pour permettre le basculement de l'antenne au virement de bord, lequel se fait vent arrière au lof. Le mat est soutenu par six bastaques que l'on raidit au moyen d'un palan dont on tourne le garant sur des cabillots incorporés aux épissures du palan. Ces bastaques sont capelées au sommet du mat dans un ordre bien défini et au-dessus des gorges ménagées dans le mat pour deux réas dans lequel passent les itagues qui soutiennent l'antenne. Ces itagues sont virées ou choquées au moyen d'un fort palan à huit brins, dont le courant est viré au cabestan, placé vers l'arrière. Le mat se mâte d'arrière en avant et vient appuyer contre une contre-épontille dressée en cale et souvent liée à un barrot. Un dispositif particulier assure un frottement satisfaisant de l'antenne sur le mât. Il incorpore un palan de racage qui maintient l'antenne au plus près de l'arbre.

La voile de forme trapézoïdale est munie d'une ralingue avant renforcée. C'est elle qui retient l'ensemble formé par la voile et son antenne. Son point d'amure est aussi variable et peut être modifié par le jeu des palans, voire par le jeu d'un bout dehors réglable. Un massif placé à l'arrière du bateau reçoit le palan d'écoute. Un ou deux cargue-fonds sont en général prévus pour permettre de l'étouffer la voile lorsqu'on amène l'antenne. Cette voile présente une grande surface. On ne peut la changer facilement et on ignore l'usage de garcettes de ris. Elle est donc potentiellement dangereuse en cas de grain violent et soudain. C'est une voile de vent régulier. C'est aussi pourquoi ces bateaux vont peu au près et changent de bord lof pour lof. Un , deux , trois mâts peu importe c'est toujours le même système.


Cliché H Michea@

La coque connaît quelques variantes parmi lesquelles on peut séparer des types ayant un arrière à tableau : Bagglas, Patamar Ce sont des navires océaniques. On discute encore de savoir s'ils doivent leur forme aux Portugais. Ils ressemblent beaucoup aux Caravelles. Ils offrent l'avantage d'une dunette plus vaste et confortable que celle des autres bateaux dont l'arrière, vient finir, comme l'avant, sur un étambot droit ou courbé ou à tout petit tableau, sur les Boom et leur avatar Yéménite, Zaroug, Sambouc. On pose la quille dont les dimensions sont d'environ 20x20 sur des longueurs de l'ordre de 6 à 10 mètres. Les pièces sont assemblées par écart et assemblées par une pièce courbe à l'étambot et par une autre à l'étrave comme on le faisait chez nous. Le galbord d'environ un pouce d'épaisseur est posé en premier et vient s'accoster au râblures d'étrave. On le tord au feu au moyen de pièces transversales munies de contrepoids. On pose ensuite un certain nombre de couples sur la quille et le galbord.. Les virures de bordé, viennent ensuite après qu'on ait le cas échéant posé varangues et contre quille. Les parties coudées sont tirées des bois de palétuviers naturellement tors et durs qu'il faut faire venir d'Afrique ou des Indes. On pose des baux et parfois des serres. Le pont est ensuite fixé par dessus. La cale parfois garnie de vaigrage. Une particularité à noter. Ces bateaux posent à sec à marée basse et sans avoir toujours de béquilles. Il ont assez souvent à changer des parties de quille avariée par les tarets. Les assemblages de fond sont frustes et à la limite de la faiblesse pour faciliter ces remplacements. Le bois se travaille à l'herminette, à la scie et à la vrille à main et les reports se font à la fourche les inclinaisons sont vérifiées au cadran à fil à plomb le « Mizan ». Les mesures linéaires sont la coudée et le pouce. Ce n'est pas du modélisme d'arsenal É

L'irruption des Européens a provoqué un recours plus important au fer, ce qui se manifestait par l'usage d'ancres à jas métalliques et de pompes à corps de fonte mais surtout de cloutage. Cependant le bordé cousu est resté très pratiqué surtout pour les bateaux locaux. Tout cela se construisait sans plan.

Ces bateaux sont très décorés les motifs varient beaucoup et signent l'origine : Motifs géométriques à couleurs alternées rouge et vertes sur fond blanc en Arabie du Sud et Yémen, jaune sur fond noir en Somalie. Motifs floraux aux Indes comme on peut le voir sur les clichés ci-joints. Le taille mer est aussi objet de décorations en particulier chez les indiens, où il n'était pas rare de trouver une sorte d'oiseau à bec retourné avec de gros yeux.

L'usage des bateaux:

Ces mers sont naviguées depuis des temps immémoriaux. Le "Périplus maris Erythraei" rédigé en grec vers 95-130 de notre ère, est une sorte d'instruction nautique de la Mer Rouge. Strabon, -mort en 20 A.D, dit qu'il venait 120 bateaux par an, à Muos Hormos (Géographie II XVI. 6,5). Cette mer véhicule les épices venues d'Afrique et de l'Inde ainsi que la soie venue de Chine. On y débarquait à Assion Gaber , le port du Roi Salomon, aujourd'hui Aquaba et lorsque la route de la mer Morte était perturbée par les conflits armés, les marchands débarquaient à Béréniké, aujourd'hui station touristique sur la côte d'Egypte d'où ils allaient au Nil et ensuite à Alexandrie. Quand le moyen Orient était en paix, les bateaux débarquaient dans le Shatt el Arab d'où, par l'Euphrate, on parvenait aux environs de Damas. Dioclétien prit un décret proscrivant l'usage de la soie et autres produits d'Orient par ce qu'ils appauvrissaient l'Empire en métal précieux. On a retrouvé des monnaies impériales dans l'estuaire du Mékong il y a déjà presque un siècle. On peut en déduire que la navigation dans cette région est très ancienne. Avant la poussée de l'Islam, les Chrétiens nestoriens de Socotra, sous le pastorat de leur évêque, commerçaient avec ceux du Kerala dans le sud de l'Inde. Les documents qui nous sont parvenus sont insuffisamment nombreux pour satisfaire toute notre curiosité, mais les description de voyageurs arabes, en particulier d'Ibn el Battutah, mort en 1369 ou celles du Vénition de Chiogga, Nicolo de Conti,rentré en Italie en 1439, montrent des transports maritimes développés en un temps où les grosses jonques Chinoises voisinaient avec les nefs Indiennes. Les détails techniques tant concernant la construction des navires que leur navigation font défaut mais pas assez pour que nous ne puissions voir dans les boutres actuels les héritiers de ces temps éloignés.

Ce que le monde arabe affectionne, la verdure. Chalands à dattes dans le Shat el Arab. Cliché HM 1969.

Ce qui est certain par contre c'est que les premiers Européens qui se sont aventurés dans ces régions ont été étonnés par la qualité, tant des navires, que des méthodes de navigation de leurs pilotes. C'est l'un d'eux qui semble-t-il aurait conduit Vasco de Gamma d'Afrique à Calicut. Les premières descriptions de boutres et en particulier celles relevées par les soins de l'Amiral Paris , en 1838, montrent que, jusqu'au temps de leur disparition, maintenant définitive, les boutres ont peu évolué. Au temps des Portugais, puis des Anglais Omanis et Bahreïnis transformèrent le Djihad en piraterie pure et simple. Les tours de guet à Mascate et ailleurs, construites par les Portugais, avaient pour but d'assurer la protection des navires de commerce de la Carrera da India et le soutien aux navires de guerre chargés de réprimer la piraterie. Les Anglais, qui prirent la suite des Portugais, eurent bien du mal à pacifier ces mers ; même après la seconde guerre mondiale il ne faisait pas bon s'échouer sur la côte du coté de Ras al Hadd. Les bateaux étaient rapidement pillés par des centaines d'embarcations sorties, on ne savait d'où. Les côtes sont pauvres mais il y vit une sorte d'hommes âpres au gain É pour lesquels une belle épave ne peut être qu'un don du tout puissant destiné à atténuer leur misère.

 

1959 sous Fort-Jesus à Mombassa

le nacuda du boutre Albelo photo HM

Les méthodes de navigation:

Il y avait pour autant des navires paisibles portant leurs charges de produits et d'âmes en particulier au temps des pèlerinages qui se faisaient par mer. Les Omanis, rois de l'Océan, s'enorgueillissent d'avoir compté parmi les sujets du sultanat le fameux Ibn Majid, qui aurait piloté Vasco de Gamma. On ne prête qu'aux riches. Ce savant, « mouallim » nous a laissé plusieurs routiers décrivant la route, les amers, les vents, les saisons, et quelques considérations astronomiques. Ce que nous appelons latitude et les Anciens le « Climat » se mesurait directement par la hauteur, au-dessus de l'horizon, de quelques étoiles voisines du pôle, et cela au moyen d'une planchette de bois tenue à distance de l'Ïil par une cordelette graduée, le « Kamal », et parfois, plus simplement, au moyens de doigts de ma main placée à bout de bras en position horizontale. L'épaisseur d'un doigt (environ 2,5 degrés d'arc) correspondant à une « isba » mesure de distance, disons cent cinquante mille marins. Des observations répétées, en particulier au passage des chenaux, permettaient de marquer les hauteurs correspondant à chaque passage particulier et de vérifier avant de sen approcher, la possibilité ou non d'emprunter certains des chenaux séparant les chapelets d'îlots coralliens qui barrent le centre de l'océan indien. Ces chenaux dont certains ont plusieurs dizaines de milles en largeur, d'autres moins quelques centaines de mètres parfois, sont bordés d'atolls accores dont la hauteur au dessus de l'horizon ne dépasse pas celle d'un cocotier visible du pont d'un bateau et par temps clair à une quinzaine de miles. Le bateau allait alors à « latitude constante » navigant vers l'Est ou l'Ouest en gardant l'étoile à la hauteur correspondant au chenal. Peu importe les erreurs de principe, réfraction etc.. Ce qui comptait était de savoir que tel passage était sûr pour tant de doigts sur telle étoile dans telle position (heure) du ciel, ou pour tel noeud de la planchette « Kamal ». Pour le reste l'Ïil du pilote reconnaissait les paysages familiers. Il lui fallait savoir donner le coup de barre du bon côté. Ces bateaux n'allaient pas vite. Ils viraient de bord lourdement et ne remontaient pas au vent d'une mer un peu dure. A bord d'Albelo en 1955, à Fort Jésus j'ai vu un très bel habitacle de compas sans doute récupéré sur une des nombreuses épaves qui jonchaient les plages après la guerre. Je demandais quel était le cap, au sortir de Mombassa, vers Bombay. Le nacouda dont la photo est ici fit monter le mousse qui se mit à chanter. Je répétais la question et il me fit comprendre que c'était la réponse. La chanson disait qu'à la première veille, tu mets le bout inférieur de l'antenne sur l'étoile à la suivante sur telle autre et ainsi de suite et d'ajouter au bout de vingt-huit jours c'est Bombay. Je ne sais si c'était une plaisanterie, mais j'ai fait, par la suite, le rapprochement avec la Sféra de Dati (1435) dont les cinquante strophes de huit vers rimés, en Italien du XV° siècle, donnaient la route depuis le Maroc jusqu'en mer d'Azov. Ou encore le Périple de la Mer d'Erythrée , du second siècle avant notre ère, ou encore Nicolo de Conti qui dit que les « Indiens » naviguent avec les étoiles du pôle sud et n'utilisent pas la boussole. C'étaient des temps où on naviguait de mémoire.

Des temps révolus, tout cela n'est plus que souvenir depuis que les moteurs japonais vendus à bas prix dans les années 1980 ont ébranlé les boutres et fait disparaître la mâture et le gréement de ceux qu'on construit encore de nos jours mais à moteur voire de ceux, pour la pêche qui sont fait de matière composite mais ceci se voit encore.

H. Michéa




Environs de Bab el Mandeb, grand Sambouc du Yémen,  aquarelle par H.M. in Xavier Beguin Billecocq : Boutres d'Arabie. Collection Relations internationales et culture, 2003..



Bibliographie :

Annonyme : Relation de la Chine et de l'Inde rédigé en 851 texte établi par Jean Sauvaget. Paris, Les Belles Lettres 1948.

Chumovsky (T.A.) Tres roteiros desconhecidos de Ahmad Ibn Majid o piloto arabe de Vasco des Gama, Lisboa Commisao exécutive das comemoraçoes 1960

Conti Le Voyage aux Indes de Nicolo de' Conti (1431-1439), avec présentation de Geneviève Bouchon & Anne-Laure Amilhat-Szary, traduction de Diane Ménard, Editions Chandeigne Paris 2004.

Gabriel Ferrand : Instructions nautiques et routiers arabes et Portugais des XV e et XVI siècles, Paris Paul Gunthner 1928 3 vol.

Henri Grousset-Grange Glossaire nautique arabe ancien et moderne de l'Océan Indien. CTHS 1993.

Perrier (H.) Les boutres de Djibouti. Imprimerie Nationale, Djibouti 1994.

Titbbetts (GR.) Arab Navigation, avec le texte en anglais d'Ibn Majid, Royal Asiatic Society, Londres, 1971.

Cartes, nomenclatures des termes nautiques arabo persan dans Ibn Majid.

Routes reconstituées d'après Ibn el Majid et Sulaiman el Mahri.


création de la page : jeudi 17 avril 2008

 

Dernière mises à jour de la page :24 mai 2019

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