L'HISTOIRE ET LA NAVIGATION,

DE L'USAGE PRATIQUE DE L'ASTROLABE.

 

 

par Hubert MICHEA, CAPITAINE AU LONG COURS.

 

RÉSUMÉ

Quelques ouvrages publiés au cours de la dernière décennie ont été consacrés aux astrolabes, vus généralement sous la forme d'objets d'art, ce qu'ils sont sans aucun doute. Peu d'entre eux ont expliqué leur tracé ou leur utilisation Les ouvrages consacrés à l'histoire de la navigation en font souvent mention dans des formes qui laissent à penser que ces instruments étaient utilisés par les navigateurs des grandes découvertes. L'auteur du présent article s'est livré à quelques expériences au moyen d'un astrolabe de 16 cm de diamètre de type " astronomique". Dans un premier temps, il rappelle la genèse et la conception de l'instrument avant d'exposer en détail les expériences auxquelles il s'est livré, qui s'achèvent par une observation de la latitude de l'île du Diable, en Guyanne, exécutée selon les prescriptions des manuels du XVle siècle et à l'aide des tables de déclinaison proposées, en 1548, par Guillaume Brouscon, cartographe du Conquet. L'usage des appareils de ce type et de ce diamètre, à la mer, s'avère bien malaisé, et la précision obtenue à terre est de l'ordre du quart de degré. Les arbalètes semblent avoir été plus précises. L'astrolabe a été probablement utilisé à la détermination des heures sidérales et solaires locales.

ABSTRACT

During the last ten years a number of publications have mentioned astrolabes, mainly as "objets d'art", which they indeed are. Few of them, however, have entered into explanation of their tracing and use. The works dedicated to history of navigation mention them often in terms which induce reader to belive that those instruments were used by seamen at the time of great discoveries. The author of the present paper has made a number of experiments by using an astrolabe of 16 centimenters in diameter of the "astronomical" type. To begin with the reminds the origins and concepts of the instrument before entering into the detail of the experiments he realised which end by on observation of the latitude of "île du Diable" in Guyana executed according to the recommendations of navigation manuals of the XVI th century and declination tables proposed in 1548 by Guillaume Brouscon a cartographer from Le Conquet in Britanny. The use of instruments of this size and type seems very uneasy at sea and the accuray noted ashore is not better than a quarter of a degree. Cross-staff were most probably more accurate. The astrolabe probably have been mainly in use for finding out local sideral or sun time.

Texte

"Encore que pour l'usage et pratique des mathématiques, plusieurs instruments fort beaux et dignes d'admiration, ayent esté inventés, desclarés, expliqués et démontrés entièrement, par autheurs très excellents, si est-ce que l'invention du planisphère, ou astrolabe, entre toutes est la plus belle..."Texte tiré de Jean Stofler: "Traité de la composition et fabrique de l'Astrolabe", Paris, Cavellat, 1560.

Tous les visiteurs du musée de la Marine ont pu examiner, parmi ces instruments de navigation, quelques astrolabes dont les bronzes patinés par le temps, qu'elles ont autrefois mesuré, luisent dans les vitrines. Sait-on que ces objets ne sont pas à proprement parler "de Marine" et que leur conception trouve sa source dans la lointaine nécessité de mesurer le temps ? S'il est admis que, à défaut de les avoir eux-mêmes conçus, les Arabes en ont porté l'usage à un niveau jusqu'alors inconnu, c'est sans aucun doute parce que l'appel des fidèles à la priere, de jour comme de nuit, exigeait une connaissance suffisamment précise des heures et, par conséquent, la fabrication d'appareils capables de mesurer le temps. Il n'est pas surprenant que la mesure du temps, par l'observation des corps célestes, se soit développée dans les régions du monde où le climat autorisait une observation fréquente et aisée du ciel.

Les navigateurs du XVle siècle, confrontés à la nécessité de remonter les côtes d'Afrique vers l'Europe, au large et au-delà de toute vue d'amer, se sont trouvés dans le besoin d'utiliser les connaissances accumulées, depuis l'Antiquité grecque, par les astronomes. Ces connaissances n'avaient pas disparu. Non seulement les Arabes en avaient hérité, mais les monastères de l'ordre de Saint-Benoît conservaient dans leurs bibliothèques des copies de traités antiques tels l'Almageste de Ptolémée et, plus, tard d'autres ouvrages comme, par exemple, les tables dites d'Alphonse de Castille. Certains" astrologues" juifs en avaient également connaissance. Cette science était orientée, plus vers la recherche de l'influence de la configuration du ciel sur la destinée des êtres, que vers la science astronomique. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles cette science, fleurant le soufre, fut reléguée au fond des bibliothèques. Le livre de U. Eco, Le nom de la rose, s'inscrit dans cette vision des choses.

Les marins ne pouvaient éviter de faire usage de ces connaissances dès lors que la fréquentation de la haute mer en Atlantique était pressante. Ils ont donc , lors des premiers voyages vers l'hémisphère sud, fait usage, entre autres instruments, d'astrolabes.

Cependant, les inconvénients que j'ai ressentis lors des expériences auxquelles j'ai procédé et dont il sera question ci-après, ont amené les marins à modifier la conception des astrolabes afin de les rendre plus efficaces, c'est à-dire moins sensibles au vent et plus précis dans la lecture des hauteurs d'astres. L'appareil est devenu anneau . De ce fait, on ne disposait plus de place pour inscrire les éphémérides que l'on trouve sur les astrolabes astronomiques. Les déclinaisons et autres coordonnées astronomiques ont alors été consignées dans des almanachs nautiques particuliers. Ces appareils de mer sont en général d'une extrême rareté, ( une soixantaine environ) et ceci ne doit pas surprendre si l'on pense qu'ils étaient destinés au service des navires. Ils se trouvaient exposés aux aléas des voyages par mer. Le seul exemplaire, conservé en France, d'un "astrolabe de mer", est visible au Conservatoire des Arts et Métiers, à Paris. Citons, par ailleurs, un exemplaire conservé à l'observatoire astronomique de Coimbra, deux autres conservés au musée naval de Greenwich et un à Oxford. Il en a été trouvé un lors de l'exploration de l'épave de la Girona, un des navires de l'lnvincible Armada. Il semble que les astrolabes de Greenwich et Oxford proviennent également de l'Armada, ce qui place à la fin du XVle siècle leur construction.

Un astrolabe astronomique comprend un disque de métal offrant une rigidité satisfaisante. Il s'agit le plus souvent de bronze ou de laiton parce que ces alliages sont d'une gravure aisée. Le disque est suspendu par un anneau nommé "armille" qui sert à suspendre l'appareil verticalement lors des observations. Au dos, on trouve une couronne graduée servant à la lecture de la hauteur des corps célestes observés. Cette hauteur est établie par rapport à la verticale, mais l'origine de la couronne correspond à l'horizon théorique. De ce fait, I'observateur n'a pas à tenir compte de la ""dépression de l'horizon ", quel que soit le lieu où il se trouve. C'est pour cette raison que l'appareil doit être suspendu à son armille, laquelle doit etre affectée du coefficient de frottement le plus réduit possible.

A la mer, la houle engendre une accélération cycloïdale du navire et, par conséquent, de l'observateur, ce qui provoque une déviation de la direction de la pesanteur apparente. A titre d'exemple, cette déviation est de l'ordre du degré pour une houle de 2 m de haut et de douze secondes de période. Les observations de hauteur réalisées dans ces conditions sont entachées d'une erreur qui ne peut être réduite que par des observations effectuées par séries, sur plusieurs cycles, et dont on peut faire la moyenne. Une telle pratique n'est possible qu'au moment de la culmination de l'astre, lorsque sa variation en hauteur est négligeable pendant la période d'observation. Cependant, il n'est pas certain que les méthodes de calcul embarquées, aient autorisé un calcul de moyennes avant le début du XVlle siècle.

On retrouve l'expression de ces préoccupations dans le routier de Joao de Castro, à la date du 13 janvier 1541, traduit par A. Kammerer d'après le manuscrit du British Museum. Nous lisons: " L'excuse à cela est que, au moment où nous calculâmes ladite latitude de 14°, le galion où nous étions bougeait beaucoup à la houle".

On utilise, pour la mesure des hauteurs, une " alidade " mobile autour d'un axe qui traverse l'appareil en son centre. Cette alidade porte deux "marteaux" identiques placés chacun sur chacun des bras. Les marteaux sont percés d'un orifice calibré. L'observateur tient l'astrolabe par l'armille, de manière qu'il soit le plus libre possible de s'orienter verticalement. Il doit également présenter l'appareil de manière à ce que le plan formé par le dos de l'appareil passe par l'astre observé. S'il s'agit du soleil, il convient d'orienter alors l'alidade de manière à ce que la lumière, passant par l'orifice du marteau supérieur, traverse celui du marteau inférieur. Lorsque l'alidade n'est pas correctement orientée, I'ombre du marteau supérieur ne recouvre pas complètement le marteau inférieur. Le cercle de lumière émis par l'orifice supérieur n'est pas aligné sur l'orifice inférieur. Une pratique assidue est nécessaire pour maîtriser l'ensemble de ces manipulations. Celles-ci s'avèrent difficiles dès que le vent dépasse la force deux de Beaufort, même lorsqu'on est à terre ou en un lieu où le navire n'est pas soumis à des mouvements de plate-forme. J'ajoute que le soleil ne doit pas être voilé, car alors le manque de netteté des ombres rend l'observation impossible. Joao de Castro se fait l'écho de cette difficulté que j'ai moi-même observée lors d'une campagne de mesures effectuées au Conquet, en 1987. C'est ainsi que j'ai observé très correctement, au sextant, des collimations au travers d'un ciel voilé de cirrostratus, alors qu'aucune ombre n'était visible sur le marteau de l'astrolabe. S'il s'agit d'une étoile, il convient d'aligner l'oeil de l'observateur et l'astre observé au travers des deux orifices des deux marteaux. Il me semble que c'est l'opération la plus difficile à réaliser et je ne suis pas parvenu à la réaliser correctement à la mer.

On imagine le tour de main nécessaire pour observer dans ces conditions. C'est pourquoi les marins ont apporté à l'astrolabe des modifications consistant à lui donner une masse plus importante que celle des astrolabes de terre, ce qui a pour effet d'augmenter son inertie et de ralentir ses mouvements en vue de faciliter l'observation. Ceci ne corrige en rien les effets de la déviation due aux mouvements de plate-forme. Le corps de l'astrolabe de mer est évidé afin de réduire l'effet du vent qui, je l'ai indiqué ci-dessus, rend très vite l'observation impossible. J'ai réalisé les observations que je vais exposer au moyen d'un astrolabe astronomique de 14 cm de diamètre. J'ai , depuis, observé au moyen d'astrolabes de mer et constaté que si la précision est identique, la pratique est moins délicate. Certains astrolabes de mer sont munis de marteaux à orifices, plus gros que ceux des versions terrestres, afin de mieux permettre l'observation des étoiles. Cependant, I'exemplaire du Conservatoire des Arts et Métiers est muni d'orifices très fins ainsi que d'un réseau de lignes tracées sur le marteau inférieur, ce qui devrait faciliter l'observation. L'astrolabe de mer de l'observatoire de Coimbra, dont une photographie se trouve dans l'ouvrage de A. Fontoura da Costa, "A marinharia dos descobrimentos", est équipé d'un réseau de cercles concentriques coupés de lignes obliques disposées sur le limbe.

 

Il s'agit d'une sorte de vernier qui permet de lire avec précision la valeur d'une hauteur lorsque le couteau de l'alidade tombe entre deux graduations. Sur le limbe de cet astrolabe de mer, je compte quinze lignes, ce qui correspondrait à une précision théorique, dans la lecture des hauteurs, de 4 minutes d'arc. Ceci pose la question de la fabrication de l'alidade. Elle doit être parfaitement symétrique et centrée avec précision. Quelle que soit sa lecture, on doit obtenir les mêmes valeurs en faisant faire aux bras, un tour de 180°.

Le dos des astrolabes astronomiques (fig. 1) reçoit également un calendrier circulaire sur lequel on lit les mois et quantièmes des mois, ainsi que leur correspondance avec les douze signes du zodiaque, divisés chacun en trente "degrés". Ceci permet à l'utilisateur de connaître le "degré" du soleil selon la date de son observation et de le reporter sur l'autre face pour les besoins de son ouvrage. En 1582, le pape Grégoire XIII fit modifier le calendrier afin de rattraper les décalages constatés entre les dates des équinoxes et le 21 mars du calendrier julien pratiqué jusqu'alors. L'équinoxe d'automne, qui se produit aux environs du 22 octobre, tombait, cette année-là, dix jours plus tard. Il fut convenu d'annuler dix jours et de modifier les échéances des années bissextiles ultérieures afin d'éviter le retour de cette dérive du calendrier. Les appareils construits avant cette date montrent un équinoxe de printemps, au premier degré du Bélier, le 30 mars, et un équinoxe d'automne au 1er octobre, tandis que ceux construits par la suite les montrent aux 20 mars et 20 septembre. Les astrolabes de mer ne montrent pas ce zodiaque.

En général, on voit, à la partie inférieure du dos des astrolabes astronomiques, un rectangle gradué sur lequel on lit "umbra recta, umbra versa", du moins pour ceux destinés aux chrétiens. Il s'agit d'une table de trigonométrie servant à diverses mesures telles que l'arpentage, I'évaluation de la hauteur d'objets dont la distance à l'observateur est supposée connue. Cet abaque n'a pas d'utilité nautique particulière, sauf pour le relevé hydrographique et le levé des cartes de détail.

Le côté face des astrolabes astronomiques est évidé afin de recevoir un ou plusieurs disques mobiles du nom de "tympans". La cavité porte le nom de "mer" ou de " mère " selon les auteurs. Son pourtour est gradué en heures. Il s'agit d'heures solaires locales de l'observateur (Tvg). On les comptait de O à 12, de midi à minuit, elles étaient alors appelées heures "astronomiques" (AHvg); ou de minuit à midi, on les appelait alors heures "équinoxiales" (Tvg). Les heures "babyloniennes " étaient comptées du coucher du soleil. On les lit sur certains astrolabes astronomiques, mais jamais sur un astrolabe de mer. Ces heures étaient dites égales, car d'une durée identique, par opposition aux heures inégales ou "artificielles" dont la durée variait en fonction tant de la latitude que de la saison, puisqu'elles étaient une division de la nuit et du jour en douze parts égales. Ces heures figurent à la partie inférieure du tympan inséré dans la mer des astrolabes astronomiques. Les astrolabes de mer ne portent aucune de ces heures. Le tympan reçoit trois cercles centrés sur l'axe de l'appareil et qui représentent le tropique du Cancer, I'équateur céleste et le tropique du Capricorne. On voit, au-dessus de l'axe, le sud, à gauche, I'est et, à droite, I'ouest. Vers le sud, on remarque un point autour duquel sont disposés des cercles. Ce point correspond à l'axe du monde tel que vu par l'observateur à une latitude donnée pour laquelle le tympan est établi. Il faut donc changer de tympan si on se rend dans un lieu de latitude différente. On voit ici que le creux de la "mère" sert à conserver plusieurs tympans. Les cercles disposés autour de l'axe du monde, appelés "almicantaras", sont les cercles d'égale hauteur. Le dernier correspond à la hauteur nulle, c'est-à-dire à l'horizon. On voit parfois un autre almicantara plus ouvert et situé sous I'horizon. Il s'agit de la ligne crépusculaire qui était réputée correspondre à la position du soleil au-delà de l'horizon. Elle correspond à l'établissement de la nuit complète. La position du soleil entre les deux lignes indique le crépuscule. Elle est fixée pour une hauteur de 18° sous I'horizon. Partant de l'axe du monde, des courbes irradient vers la périphérie du tympan. Elles marquent l'azimut des astres. Par-dessus le tympan, on voit l'araignée. A une époque où les matériaux transparents peu fragiles et gravables n'étaient pas en usage, on n'avait pas trouvé d'autre moyen de figurer la voûte céleste que cette élégante araignée dont les pointes représentent toutes une étoile de première grandeur dont le nom est gravé à la base de chaque langue ou flamme et qui permet, au travers des parties découpées, de lire les almicantaras et azimuts du tympan situés en dessous d'elle. On remarque sur l'araignée un cercle qui porte les douze signes du zodiaque. Il sert à marquer la position du soleil par rapport aux étoiles. Par-dessus le tout, est posée une règle mobile autour de l'axe de l'appareil. C'est l"almuri" qui sert à lire les heures à la couronne extérieure de la "mère". Il est gradué de manière à placer sur l'araignée les astres errants dont la déclinaison est donnée par des tables, telles celles d'Alphonse X le Sage, dont le fils, Louis d'Espagne, commanda les opérations navales tendant à s'opposer aux entreprises d'Edouard III pendant la guerre de succession de Bretagne, ou par d'autres almanachs comme celui de A. Zacuto, rédigé vers 1473, ou le règlement de Munich, de 1509 environ. Les uns et les autres s'inspirant de l'Almageste de C. Ptolémée.

 

Comment se servait-on de l'appareil ?
Après avoir observé la hauteur du soleil ou d'une étoile, on notait sa hauteur sur un papier. On lisait ensuite, dans l'almanach, le degré du soleil, en face de la date. On passait ensuite au côté face de l'astrolabe. On tournait l'araignée jusqu'à ce que la pointe de la flamme de l'étoile observée, ou le soleil figuré sur le zodiaque au degré relevé dans l'almanach, touche l'almicantarat qui correspondait à la hauteur observée. On interpolait à vue entre deux almicantaras lorsque la hauteur observée ne correspondait pas à un almicantara unique, mais tombait entre deux. On pouvait, au passage, vérifier la direction de l'astre par la courbe d'azimut. L'index situé au haut de l'araignée indique l'heure "sidérale" (Tsg ou Ahsg) qui se lit sur la couronne extérieure de la "mère". Il fallait convertir en heure solaire cette heure sidérale. Pour cela, on plaçait alors, et sans changer la position de l'araignée, I'almuri sur le degré du zodiaque relevé précédemment. On lisait alors, sur la couronne des heures, I'heure astronomique. Il s'agissait d'une heure solaire locale (Tvg ou Ahvg). Il n'est pas encore question de "temps moyen", (Tmg). Si nous faisons l'expérience de nos jours, il faut tenir compte de l'écart qui existe entre notre position et celle du méridien origine, d'une part, et du fuseau horaire en service, d'autre part. Il faut attendre la fin du XV° siècle pour voir s'insérer dans les recommandations, la prise en compte du décalage horaire.

Si l'astre observé est le soleil, on cale l'almuri sur le degré du zodiaque et on fait tourner l'araignée et l'almuri ensemble, jusqu'à ce que la position du soleil corresponde à l'almicantarat de la hauteur observée. On lit alors l'heure astronomique comme on l'a fait pour une étoile (Voir fig. 2).

L'astrolabe astronomique permet quelques autres manipulations. Cependant, son principal objet est de déterminer l'heure. Il s'agit d'une montre que l'observateur manipule d'après la position des astres. Il ne s'agit pas d'un appareil nautique. L'astrolabe de mer a pour raison de mesurer la hauteur d'un astre afin d'en conclure la latitude de l'observateur. Le diamètre de ces appareils est variable, mais la plupart d'entre eux ne dépasse pas les 15 cm. Certains appareils de cabinet ont été construits en diamètres beaucoup plus élevés, comme celui ayant appartenu à Tycho Brahé, qui est conservé au Kunstmuseum de Hambourg. La couronne des hauteurs est gravée en degrés, elle ne permet pas d'apprécier mieux que le quart de degré, sauf au moyen de l'astrolabe de mer, et pour autant qu'elle possède un vernier,. Le nombre d'étoiles est limité. Deux douzaines tout au plus. Citons les principales: Altair, Véga, Deneb, Alkaid, Markab, Fomalhaut, Capella ou la Chèvre, Spica ou I'Epi, Régulus, Alphar, Sirius, Rigel, Bételgeuse, Aldébaran, Antarès. Les astrolabes astronomiques arabes et persans portent les mêmes étoiles avec leurs appellations arabes. C'est le cas des astrolabes marocains du Musée de la Marine de Paris, décrits dans Neptunia et dont on peut dire qu'ils furent sans doute créés à l'intention d'une communauté religieuse aux fins d'établir les heures des prières et de prédire la date de début du Ramadan.

Fig. 2. Astrolabe de mer, 1545

Il est courant qu'une étoile portée sur l'araignée vienne tangenter l'almicantarat correspondant à la hauteur observée. Dans ce cas, la détermination de l'heure est très imprécise. Par exemple, sous nos latitudes, Altaïr coupe bien les almicantarats jusqu'à 40° de hauteur. Il culmine au sud trois heures après son passage à la hauteur de 40°. Au cours de ces trois heures, il est impossible de définir l'heure avec une précision satisfaisante. Il faut que le ciel soit bien dégagé afin que l'observation d'une autre étoile, placée de manière plus commode, soit possible. Sous cette réserve, I'heure est alors déterminée avec une précision suffisante. Quatre minutes est le mieux qui est obtenable, sauf à disposer d'un appareil de plus grand diamètre, mais qui devient alors peu pratique pour voyager. Je remarque que le sud est placé en haut de l'appareil et l'est à gauche. L'araignée tourne donc de gauche à droite pour suivre le mouvement de la voûte céleste. C'est, sans doute, la raison pour laquelle les premiers constructeurs de pendules firent, de même, tourner les aiguilles de gauche à droite.

Nous allons examiner maintenant le résumé de quelques observations que j'ai réalisées récemment ( en 1990/1995). Il s'agissait de mesurer la hauteur d'astres à l'astrolabe à un instant donné en un lieu identifié par ses coordonnées, et de comparer la lecture avec la hauteur réelle de cet astre. Pour cela, j'ai rédigé un programme informatisé que j'ai enregistré dans une machine Cannon XP 100. Afin de tester le programme, il était prudent de prendre les hauteurs au sextant, à la mer ou en bordure de mer. Une fois le programme reconnu fiable, les observations au moyen de l'astrolabe pouvaient être effectuées en tous lieux, à la mer comme à terre. Il fallait donc disposer d'un sextant bien réglé, d'un chronomètre comparé à l'horloge parlante de l'Observatoire de Paris et des éphémérides.

" Rappel des corrections qui doivent être apportées aux lectures, tant au sextant qu'à l'astrolabe, pour trouver la hauteur observée (Ho) et la hauteur vraie du centre (Hv) du soleil à partir de l'observation effectuée (Hi):

J'ai effectué une série d'observations dynamiques, à une heure où le soleil descend à grande vitesse. A chaque fois, j'ai observé successivement à l'astrolabe, puis au sextant, et j'ai noté l'heure de l'observation au sextant. Cette procédure conduit à un décalage du spectre d'erreurs des lectures à l'astrolabe vers les valeurs négatives. En effet, une lecture à l'astrolabe demande l'ajustement de l'alidade, le balancement de l'appareil, I'observation de la tache solaire sur le marteau inférieur afin d'apprécier le moment où il cesse de mordre au haut du trou et commence à mordre au bas, moment qui correspond à la lecture proprement dite. Il faut ensuite poser l'astrolabe, noter l'heure et la hauteur, empoigner le sextant et observer. Tout cela peut prendre de deux à trois minutes pendant lesquelles le soleil continue de baisser ou de monter.

Les diverses campagnes réalisées en divers lieux, en me contentant de noter heures et hauteur des observations à l'astrolabe, montrent que dans le meilleur des cas, il est parfaitement illusoire d'apprécier mieux que le quart de degré avec un astrolabe astronomique de 14 cm de diamètre, et ceci à terre et à l'abri du vent. Au sextant, un observateur entraîné obtient une précision de l'ordre de la minute d'arc.

Il est évident que les premiers navigateurs n'utilisèrent pas l'astrolabe en observation dynamique, car il leur aurait fallu déterminer l'angle horaire des astres (Ahag), et pour cela disposer d'une pendule et connaître la longitude du lieu d'observation avec précision. Cela était sans doute possible en observatoire à Lisbonne, ou ailleurs, au début du XVle siècle, mais pas sur les côtes d'Amérique ou dans les régions en cours d'exploration. On ne disposa de ces données que bien plus tard. Il a fallu attendre la fin du XlXe siècle pour maîtriser le problème de la longitude avec une approximation satisfaisante. Par contre, les observations méridiennes étaient réalisables Outre-Mer. Il y a tout lieu de penser qu'elles contribuèrent à la fixation des latitudes des lieux découverts.

 

Observation de la culmination du soleil avec détermination de la latitude faite aux îles du Salut, en Guyane, le 14 octobre 1987, au moyen d'un astrolabe de 140 mm de diamètre et des tables de déclinaison de G. Brouscon datées de 1558:

La table 4 est celle de l'année bissextile. En 1987, nous sommes en troisième année du bissexte et devrions d'après les instructions de Brouscon, utiliser la troisième table. Soit D = 7°51' Sud. Je note que ces données sont valables pour une observation en Europe, au premier méridien (qu'il s'agisse du Conquet ou de Lisbonne selon le lieu de réalisation de tables) et qu'il y aurait lieu de tenir compte du décalage horaire pour apprécier la valeur de la déclinaison au moment de la culmination en Guyane. Le soleil passe, en Guyane, trois heures et demie après sa culmination en Europe. Pendant ce temps, sa déclinaison a varié. Cependant, aucun des auteurs avant Alonzo Chavez ne suggère d'en tenir compte.

L'observation, à la manière de Brouscon, fournit, comme on le voit, une latitude erronée d'un demi-degré.
L'erreur ne provient pas de la table de déclinaison qui, on l'a vu, fournit une valeur assez correcte. Ses origines sont tout d'abord l'absence de correction de la valeur de la déclinaison en fonction du décalage horaire. Cette correction aurait nécessité la connaissance de la longitude. Cela vaut pour 17 minutes.
D'autre part, I'observation n'a pas permis d'évaluer la hauteur. L'erreur de13 minutes restant sans explication précise, correspond à l'erreur instrumentale, cumulée à la parallaxe.

On peut estimer que l'astrolabe permettait une lecture de hauteur méridienne du soleil, effectuée à terre, avec une approximation du quart de degré.

Le rôle de l'astrolabe astronomique me semble avoir surtout été de déterminer les heures tant sidérales que solaires.

Les arbalètes pourraient avoir été plus précises que les astrolabes, dès lors qu'il s'agissait de mesurer des hauteurs d'astres bas sur l'horizon. Ceci serait à vérifier par des essais réels. (voir mon compte rendu de l'essaai d'un bâton de Jacob in CTHS congrès de Nantes).

Ce texte a été collationné avec l'aide de Marie Josèphe Farizy


 

Dernière révision de cette page : 6 juin 2019

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